samedi 17 mars 2007

Le travail bien fait.

Je vais sans doute m'attirer les foudres des hédonistes en vous faisant part ici de mon brain storming potron-minet. Je suis verseau, d'où la possibilité de brain stormer avec moi-même, ce signe d'eau ayant la merveilleuse faculté de me doter d'une personnalité double. Je vous ai déjà parlé de mes multiples conflits avec mon je, apparaissant à chaque prise de position, prenant ses aises à me faire douter du bon sens de mes idées. Mais cette fois, tous les partis en cause étaient d'accord.
Donc, je repassais dans ma tête le film des évènements qui ont marqué le début de ma journée d'hier.
Débutant habituellement plus tard le vendredi matin à cause d'un cours d'éducation physique, j'ai été légèrement déçue d'apprendre que ce vendredi, mon cours libre serait remis au début de l'après-midi pour cause de changement exceptionnel à l'horaire, histoire de permettre à un autre prof d'avoir ce matin-là un cours libre pour une rencontre de parents avec la direction. Ses élèves changeraient donc leur cours d'éducation physique avec les miens.
Mes petits chéris ont donc appris la chose dès leur arrivée en classe. Tollé général. Vingt trois visages boudeurs, mécontentement exprimé à coups de pied dans les sacs.
Je suis restée de glace alors qu'en dedans de moi la température menaçait lentement de faire fondre ce qui reste des glaces de l'Alaska.
La vapeur a commencé à sortir de mes naseaux lorsqu'un élève juste à coté de moi s'est permis un : " C'est de la merde ce changement"
Vous ai-je dis que j'enseignais en cinquième année? Ils s'en permettent hein.
J'ai pris ma petite cloche qui s'est remuée d'elle-même sous l'impulsion du mouvement tremblotant de ma main. Tremblotant comme tremblante de colère.
Ils se sont arrêtés, m'ont regardé et tels des politiciens d'un parti minoritaire pendant la période de questions ils se sont hargneusement ligués contre moi en me bombardant de questions.
Le silence fut ma seule réponse. J'ai enlevé mes lunettes, geste solennel par excellence.
Un seul regard sans elles et la bête est domptée, je pouvais me permettre de commenter la situation, ils étaient silencieux.
Là, je vous écris calmement, ça ne parait pas, mais Ô que j'étais en colère. Vraiment en colère.
Comment se fait-il que moi qui ai du renoncer à mon vendredi chéri, le seul jour où je peux habituellement me permettre de prendre un dix minutes de plus à la maison pour me coiffer convenablement, j'ai pu avec une très bonne volonté, immédiatement donné mon accord à ce changement d'horaire, alors qu'eux, qui dans le fond ne perdent rien, se permettent de réagir de cette façon?
Pourquoi?
Je peux comprendre leur déception, ils avaient hâte d'aller en édu. Mais une telle réaction? À ce point exprimée de façon aussi véhémente et aussi librement?
Non, je ne comprends pas et je n'admets pas. Et pourtant ça ne devrait pas me surprendre.
Nous sommes dans un système scolaire où le travail est beaucoup moins valorisé. Parce que le plaisir leur est du, parce que l'effort s'il ne donne pas un résultat immédiat et quantifiable n'est pas intéressant.
Chaque fois que je donne un travail, j'entends des soupirs, chaque fois où le travail demande un effort afin d'être bien présenté, j'ai un très fort pourcentage d'élèves qui me rendent quelque chose ressemblant vaguement à une feuille.
C'est ce très fort pourcentage qui m'inquiète. C'est ce que j'ai tenté de leur expliquer hier après que leur colère et la mienne se soient calmées. Le travail s'il n'est pas présenté sous forme de jeu leur déplaît. C'est cette paresse insidieuse et ce goût pour le plaisir en tout temps ainsi que l'importance qu'ils accordent à leur vie sociale qui m'inquiètent. Vient un moment où le travail n'est plus un jeu et où quoique l'on fasse il faut mettre le harnais et fournir l'effort nécessaire à la réalisation de la tâche.
Nous avons tellement cherché à intéresser les jeunes à l'école, à les motiver que nous avons oublié que l'apprentissage comprenait aussi celui du travail et de la concentration.
Très peu de mes élèves ont une motivation intrinsèque face à la réussite. Beaucoup trop le font pour avoir des privilèges ou alors se contentent du B puisqu'à B on passe.
Je crois que les jeux vidéos ont largement contribué à cet état de choses. Un jeu vidéo c'est action réaction immédiate, c'est le contraire de la réflexion, c'est l'antithèse de la résolution d'un problème complexe.
Je dis souvent à ces élèves qui, dès la réception de leur feuille, dès la lecture des premiers mots du problème, lèvent leur main et me disent : " J'comprends pas!"

Seigneur.... Moi non plus j'ai pas compris quand je l'ai lu, je suis prof et j'ai pas compris, j'ai du le faire!!!! J'ai du réfléchir! J'ai du prendre mon crayon, lire, noter les informations, calculer et réfléchir, et puis là j'ai compris!
Mais ils ne savent plus comment réfléchir, beaucoup trop long et c'est ce que j'essais de leur expliquer. Notre cerveau doit travailler à la mise en place des morceaux afin de compléter le puzzle leur dis-je souvent. " Ton problème c'est un casse-tête et les morceaux ne se mettront en place qu'après un long moment ponctué de réflexions, d'essais et d'erreurs. "
Mais voilà, ce processus demande du temps et de l'effort.
Je ne pourrai pas toujours me déguiser en clown avec des ballons rouges à la main que les élèves doivent crever avec un jeu de fléchettes pour découvrir les règles de grammaires et les inscrire avec du glaçage coloré sur un beau gâteau pour les retenir!!! De toutes façons, ils ne les retiendront pas plus.
Il vient un moment dans la vie scolaire où la seule façon d'apprendre c'est celle qui est plate. Écouter les explications.
Je leur dis souvent que je suis leur futur patron. Que leur statut d'écolier est le prémice à leur vie de salarié. Et là j'ai de jouissives réponses du genre : " Je vais être mon propre patron! "
Ahahah! Ils ne savent pas que c'est la pire job, celle qui requiert le plus d'effort et d'investissement au travail....Enfin, ça ils le découvriront bien assez vite et je ne serai malheureusement plus là pour voir leur réaction.
Je leur ai aussi dit à quel point c'était important pour moi qu'ils deviennent des grandes personnes instruites, débrouillardes, autonomes et courageuses. "Parce que lorsque je serai dans ma chaise roulante c'est vous qui allez décider de ce que je mange, vous qui allez décider de la façon dont les soins me sont prodigués, leur dis-je. Vous êtes les futurs médecins, les futurs professeurs, les futurs garagistes, électriciens, constructeurs, informaticiens.
Regardez autour de vous, voyez tous ces adultes responsables de votre bien-être, de nos besoins de base, un jour c'est vous qui ferez tout ça! ai-je ajouté avec passion."
J'ai eu le plaisir de voir un changement dans leur regard, peut-être que certains se voyaient déjà pousser ma chaise roulante en bas de l'escalier.
N'empêche qu'il faut aussi penser à faire de nos enfants des citoyens responsables qui ne se préoccupent pas que de leur plaisir, qui ne le considèrent pas comme un équipement de base qui vient avec leur vie. C'est une option ça le plaisir, un luxe, un plus. Et pour certains, un luxe qui n'a pas de prix parce que plus on s'habitue au plaisir, plus on en veut, plus on le veut important et extravagant. Et pourtant, plus que jamais dans l'avenir qui les attend, dans ce futur pas si rose que nous leur avons préparé ces enfants auront besoin d'une colonne vertébrale solide, d'une conscience aigue de la collectivité. Inculquer à nos enfants le sens du travail, même celui où on a pas de plaisir à le faire, même le travail plate comme vider le lave-vaisselle ( hein Fred! ) c'est plus important qu'on ne le croit.
Je ne dis pas d'adopter le modèle chinois, mais un modèle à nous, un travail qu'on fait pour la famille, un travail qui va lui permettre de se sentir important même s'il ne lui a rien apporté du genre qui s'introduit dans la fente d'une tirelire.
Bon, j'arrête ici abruptement, j'aurais pu écrire encore une heure là-dessus, vous parler de l'exemple qu'il faut donné, etc... mais je dois aller faire le ménage.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Je.... j'en... euh... voulez-vous m'épouser ???

;-)

Medic a dit…

tu ne peux pas demander à des élèves de réfléchir quand la majorité des adultes sur la planète ont de la difficulté à réfléchir, ça c'est pas une constation, c'est un fait ......... l'effort n'est pas récompensé justement alors pourquoi se donner la peine

bibconfidences a dit…

Devant l'importance des enjeux, il est immoral de même penser à renoncer. Il faut au contraire retrousser nos manches. Surtout quand on a de beaux tatous!

Euh, pour la demande en mariage voyez mon avocat :-)

Anonyme a dit…

L'important, c'est d'amener les enfants à réfléchir.

Faut comprends que dans une société de consommation, la compulsivité est privilégié...

bibconfidences a dit…

Réfléchir demande du temps. Un moment où l'on est tranquille. Il est parfois même bon de s'ennuyer à ne rien faire d'autre que ça. Mais nous sommes à l'ère de l'occupationnel et de la gestion du temps. Enfin...Il est temps que je fasse un blog léger ou ma réputation de vieille réac. va être définitivement établie!

Anonyme a dit…

Que dire de plus?? Un texte pareil me donne envie de vous élever un monument!
ALors... clap clap clap (j'applaudis)